Il n'en était pas de même pour Sorothakar, fâché de devoir partager la proximité de Sa'karen. La présence de M'bralel le barde lui permettait cependant d'avoir autre chose à l'esprit ; en effet celui-ci passait pas mal de temps à répéter tout chant pouvant être d'une quelconque utilité dans la rencontre qui allait venir. Il essaya même d'en enseigner un peu au guide, mais devant le manque de talent musical de celui-ci, M'bralel réduisit ses espérances et finit par trouver le point d'entente commun : l'art de la juste prononciation.
Grâce aux gardes que Sa'karen avait réussir à obtenir, le groupe voyaga paisiblement. Sorothakar fut le premier à apercevoir les pyramides de Pyu à l'horizon quelques jours plus tard. Ils marchèrent encore un peu, Sa'karen payant même la traversée de la rivière ; mais il décida juste après de s'arrêter, afin d'arriver dans la ville au petit matin. Ils auraient beaucoup à faire, et il voulait être reposé une fois là bas.
Ils repartirent bien avant le lever du jour, et il faisait encore noir lorsqu'ils arrivèrent dans les faubourgs de la ville. Sorothakar était désormais habitué à la taille tentaculaire de la cité, mais ce n'était pas le cas d'Odi'Mua qui découvrait pour la première fois l'immense labyrinthe de ruelles crée par les habitations de fortunes bâties par les réfugiés, rendu encore plus étranges par les rares lumières qui l'illuminait.
Bien qu'il ne fasse pas plus jour, le passage dans les quartiers construit en dur se sentit fortement. Les maisons étaient plus hautes, et surtout l'urbanisme plus contrôlé. La grande allée qu'ils empruntaient avait cette-fois ci était clairement pensé pour être respectée, et n'avait pas été taillée au milieu des habitations par la force. Des vendeurs d'eau criaient déjà leurs prix, et les nedjums transportant tout le nécessaire à la vie fourmillaient malgré l'heure matinale.
En arrivant dans le centre de la ville, Odi'Mua cru un instant que c'était par bonté envers lui que l'inquisiteur les avait fait attendre la veille. Ses yeux affaiblis n'auraient jamais pu contempler de jour les pyramides de l'élite fortunée de la cité. En pleine nuit, elles rivalisaient d'imagination sur leurs illuminations, et sur la mise en valeur de leurs freques, peintures, et statues.
Ce n'était pas fini. Ils arrivèrent près d'un grand mur. Après quelques minutes de discussions, ils finirent par entrer dans ce qui était de toute évidence le complexe qui constituait le palais du Pyu. En plus de la grande pyramide du Pyu, étaient adossés des bâtiments aux formes variés, qui témoignaient d'une grande inventivité architecturale. Dès l'entrée dans le complexe, et pour la première fois depuis qu'ils avaient commencé à entrer dans la ville, Sa'karen fit tourner le convoi.
Après quelques zigzags, ils arrivèrent devant un bâtiment aux formes carrées, devant lequel s'étendait un jardin rempli de monolithes, d'arches, et de sculptures abstraites semblant n'avoir aucune logique. Plusieurs personnes se tenaient debout, placés à des endroits ne faisant a priori non plus aucun sens, contorsionnés de manières parfois extravagantes, et psalmodiant des paroles incompréhensibles. Sa'karen les fit s'arrêter ici, et avant que quiconque n'ait le temps de l'interroger sur le sens de tout ceci, il s'était lui aussi placé dans le jardin, unissant sa voix à celle des autres. Monté sur une pierre, il était dans une position précaire, tenant sur son pied droit, sa jambe gauche placée à un angle bizarre, et les mains au dessus de la tête.
La réponse à cette énigme ne se fit pas attendre ; Sa'karen était visiblement arrivé in extremis, car les premiers rayons du soleil pointèrent juste. Pendant un bref instant, les sculptures et les gens formèrent une ombre sur le sol et sur les murs derrière eux. Indescriptible, elle irradiait à la fois une beauté et un sens de la construction volontaire qui ne pouvait émaner que de Dieu lui-même. L'instant d'après, les ombres se mélangeaient de nouveau, et tout avait disparu.
Sa'karen revint vers eux, s'adressant visiblement à Sorothakar, Odi'Mua, et M'bralel.
- Eh bien, vous n'en avez pas profité pour vous préparer ?
Il désigna un puits à côté d'eux, qu'ils n'avaient pas vu à cause du spectacle qui s'offrait à eux.
- Les personnes qui vont juger cette affaire peuvent voir dans les cœurs, mais ils savent tout aussi bien lire les autres signes de vérité et de dévotion. Je vous invite à vous débarrasser de tout ce qui pourrait faire douter de votre foi et de votre pureté.
Il n'était lui-même vêtu que d'un simple pagne qui lui allait jusqu'aux genoux, d'un collier de verre bleu, et portant le fourreau de son épée de chitine à la main.